VANDER LINDEN (Herman)

VANDER LINDEN, Herman (Louvain, 27 avril 1868-Korbeek-Lo, 15 avril 1956), historien et professeur.

Fils du sculpteur de souche anversoise Gérard Vander Linden (1830-1911), directeur de l’Académie de Louvain, et de Louise Devigne (1843-1911), peintre et paysagiste, issue d’une lignée d’artistes, Herman Vander Linden voit le jour dans un milieu presque uniquement artistique. Dans cet esprit, sa sœur, Clara, épousera l’architecte Alphonse Stevens.

Louvaniste de naissance et de cœur, c’est toutefois à l’Université de Gand qu’Herman Vander Linden obtiendra son doctorat en philosophie et lettres et son agrégation du degré supérieur, en 1890. A cette époque, la charge d’histoire médiévale était entre les mains, depuis quelques années déjà, du jeune Henri Pirenne, ayant rejoint Gand, où une carrière plus rapide et plus prometteuse qu’à Liège, siège de son Alma mater, l’attendait. Il est communément admis que Vander Linden fut le premier disciple de Pirenne. Cette filiation apparaît lors des célébrations de 1912 et 1926, organisées par Vander Linden, François Ganshof et Guillaume Des Marez, en l’honneur de Pirenne, au Rocher de Cancale, à Gand (homonyme d’une grande adresse parisienne), et se manifeste dès le premier travail de l’élève, consacré à l’Histoire de la constitution de la ville de Louvain au moyen-âge (publié en 1892), et que l’on ne peut lire sans songer à l’étude analogue de Pirenne, consacrée à Dinant, quelques années plus tôt. Lors d’une manifestation en son honneur, en 1912, Pirenne s’adresse à Vander Linden : « Votre discours, mon cher Vander Linden, m’a reporté au temps inoubliable de mes premiers cours. C’est là que se sont noués entre nous ces liens de confraternité scientifique, d’estime et d’affection qui n’ont plus cessé de nous unir l’un à l’autre et qui vous sont, je l’espère, aussi doux qu’à moi-même ». Par ailleurs, le Manuel d’histoire de Belgique qu’il rédige en 1909 a pour principale ambition de faire pénétrer le « pirennisme » dans l’enseignement secondaire. Après plusieurs séjours de recherches à l’étranger (Marbourg, Leipzig, Berlin, Paris), Vander Linden décroche le titre de docteur spécial en sciences historiques (1895) et, après quelques postes dans divers athénées, est nommé chargé de cours à l’Université de Liège en 1903, puis professeur extraordinaire en 1906, suite au départ de Godefroid Kurth, et avec l’appui du paléographe Stanislas Bormans.

Dès les premières années de son professorat, Vander Linden, homme rigoureux, fidèle au méthodisme « sorbonnard » tant décrié par François Simiand, s’intéresse aux questions d’outre-mer. En effet, devant se ménager un espace dans les sciences historiques à Liège, où le Moyen-Age est l’apanage de Godefroid Kurth puis de Jules Closon, il se spécialise dans deux domaines qui sont alors à leurs balbutiements : la géographie historique (impliquant de nombreuses études toponymiques, aussi fastidieuses que précieuses) et l’histoire de la colonisation. Vander Linden obtient, le 26 octobre 1905, la création d’un cours facultatif d’histoire de la colonisation qui, dès 1931, s’intitulera « Histoire de l’expansion coloniale des peuples européens », titre inspiré d’un ouvrage auquel avait participé l’historien (cf. infra). Curieusement, ce dernier domaine restera aux mains d’un médiéviste jusqu’à sa disparition, étant donné qu’après la Seconde Guerre mondiale, cette matière sera dispensée par Fernand Vercauteren, autre disciple de Pirenne. Nous ne reviendrons pas ici sur l’œuvre du médiéviste Vander Linden, ni sur celle de celui qui - signe de l’éclectisme de cette époque - avait été chargé du cours d’histoire contemporaine (1923-1938), tandis que cette matière est considérée (et le restera longtemps) comme une incongruité aux yeux des « vrais » scientifiques.

L’intérêt de Vander Linden pour la géographie se manifeste précocement et s’intensifie au contact du professeur d’économie politique gantois Charles de Lannoy, avec lequel il achève, en 1903, une Histoire de l’expansion coloniale des peuples européens, qui sera récompensée par le Prix du roi Léopold II, à l’heure où ce dernier joue un bras de fer constant avec les parlementaires dans la question de la reprise de l’État Indépendant du Congo (EIC) par l’État belge. Ce ne sera chose faite qu’en 1908. Il serait toutefois intéressant d’approfondir la question de la promotion des recherches en histoire coloniale par la Belgique léopoldienne, et en quoi milieux politique et scientifique contribuent à celle-ci. Le Moniteur belge du 4 juin 1903 présentera un digest de l’ouvrage, soumis au concours de 1895. Il s’agit d’une œuvre d’historien, ce qui n’empêche pas les auteurs de remonter jusqu’à leur époque; ainsi, lit-on : « MM. Delannoy et Van der Linden [sic] écrivant avant la guerre hispano-américaine, dépeignent la situation des Antilles espagnoles à notre époque. Ils démontrent que ces colonies sont devenues une charge pour la métropole et laissent entendre que leur perte éventuelle doit être envisagée, sinon comme désirable, du moins comme acceptable, par suite de l’inhabileté absolue de l’Espagne  à en tirer profit ».

Sur cette lancée, un tome parut, sous l’intitulé Portugal et Espagne (jusqu’au début du XIXe siècle), en 1907, et le deuxième, en 1911, traitant des Pays-Bas et du Danemark, au cours des XVII-XVIIIe siècles. Il est permis de penser que Vander Linden devra sa notoriété internationale davantage à ses études coloniales qu’à ses travaux de toponymiste ou de diplomate. En effet, c’est à lui qu’Eugène Cavaignac fait appel, en 1936, pour signer le chapitre consacré à l’hégémonie italo-espagnole dans L’histoire du Monde. Parmi ses publications sur l’expansion coloniale, retenons, par ailleurs : « Alexander VI and the demarcation of the maritime and colonial domains of Spain and Portugal », dans la American Historical Review (octobre 1916) et « La prétendue inféodation du domaine maritime et colonial d’Espagne par Alexandre VI en 1493 », dans le Bulletin de l’Académie royale de Belgique, Classe des Lettres et des Sciences Morales et Politiques (1938).

Le principal objectif de l’historien n’était pas, comme il le précise, de rédiger une histoire des colonies « en elles-mêmes », mais bien d’étudier quelles sont les singularités, les variantes et les grandes constantes de la colonisation, d’une puissance à l’autre, quels furent les résultats de ces expéditions, sur les colonies (ou ex-colonies) et sur les métropoles. L’exemple espagnol, qui a particulièrement occupé Vander Linden, démontre bien, à ses yeux, que si Madrid a perdu de son lustre d’antan, au lendemain de la perte de Cuba et de Porto-Rico, en 1898, le reliquat de son influence à l’échelle mondiale (en Amérique latine, la nouvelle littérature hispanophone, etc.) est en grande partie dû à son passé colonial. Bien entendu, in petto, dans cette Belgique de l’avant-1914, il s’agissait aussi, au détour de certaines allusions, de souligner à quel point l’implantation belge au Congo revêtait un caractère de première importance pour l’avenir. D’ailleurs, Vander Linden s’est à plusieurs reprises penché sur la question de la nationalité, notamment belge, à l’instar de Kurth, plus particulièrement après l’année 1914, qui fut, pour lui, un véritable séisme personnel. En effet, l’incendie de la ville de Louvain n’a pas épargné sa bibliothèque ; le professeur choisira de quitter le continent et de rejoindre l’Angleterre.

L’épisode de Louvain est également relaté par la correspondante de presse française en Belgique, Yvonne Dusser, en 1937. Au lendemain du premier conflit mondial, au cours duquel Dusser et Vander Linden ont séjourné outre-manche, ils se retrouvent à Louvain. L’historien propose à la journaliste de visiter la ville dévastée et lui fait le récit des journées de 1914 : l’arrivée des Allemands, l’incendie de sa maison au pétrole, la destruction de ses manuscrits relatifs à la colonisation française jusqu’en 1789, de ses travaux et, surtout, sa capture et celle de sa famille (sa femme, ses deux enfants), devenus tous otages. Certes éphémères puisque le consul de Hollande se fit passer pour le cousin de l’épouse du professeur et obtient, par conséquent, leur libération et leur transfert vers les Pays-Bas, neutres. Quant à Vander Linden, fait prisonnier en Allemagne, il devra son salut au même consul qui, prétextant son état de santé défaillant, le fit libérer et emmener à Oxford, où sa famille s’était exilée.

L’avocat liégeois J.-L. Libert, sans nommer Vander Linden, l’avait décrit comme suit :

 

« Il avait ses têtes de Turc favorites, toujours des « cléricaux », car il n’était pas de la lignée de Kurth ; parmi les plus visés, le roi de France Charles X et Jules-Armand, prince de Polignac, son premier ministre qui, dit-on, avait des visions. [...] Ce professeur avait une barbe poivre et sel, le cou décharné, le front dégarni, le solde de sa chevelure légèrement hirsute et, par moment, un tremblement des mains. On disait qu’en 1914 à Louvain (Leuven), sa maison avait été détruite, sa bibliothèque et ses écrits brûlés, que les Allemands l’avaient mis au mur et qu’il avait bien cru être fusillé, d’où son état nerveux. À mon sens, c’était un homme intelligent et sans méchanceté mais manquant de sérénité ».

Quant aux questions relatives à la colonisation, à l’identité nationale, elles attirent son attention, à l’instar de la problématique des frontières, aujourd’hui en vogue, mais qui, au fond, n’a rien de fondamentalement novateur. Doit-on relever son article sur la « Forêt charbonnière », paru en 1923, dans la jeune Revue belge de Philologie et d’Histoire, à la fondation de laquelle il participa, et rejetant la thèse de Kurth, selon lequel ce massif s’étendait d’est en ouest et, par conséquent, avait fait office de frontière linguistique. Selon Vander Linden, et de manière très convaincante, la forêt s’étendait, en fait, du nord au sud, de Bruxelles à Charleroi, et ne put jouer le rôle de frontière linguistique. Ce travail fit grand bruit.

Marié le 20 avril 1911 à Julie Putzeys (1885-1947), fille d’un officier de carrière, Vander Linden eut trois enfants : Hélène (1912-1991), Albert (1913-1977), futur professeur et musicologue, et Henri (1916-1944).

Admis à l’éméritat en 1938, Herman Vander Linden, après avoir vécu une succession d’épreuves personnelles (la perte de son fils, Henri, engagé dans la Résistance, et de son épouse), se retire peu à peu de la vie active et s’éteint, à l’âge de 87 ans, en 1956, dans sa demeure de la chaussée de Tirlemont, à Korbeek-Lo.

 

Vincent Genin
Université de Liège
28 novembre 2013
vincent.genin@doct.ulg.ac.be

 

Sources inédites

 

Archives de l’Université de Liège, dossier de carrière d’Herman Vander Linden (n° 237).

 

Travaux scientifiques

 

Demoulin (R.), « Herman Vander Linden (1868-1956) », in Revue belge de Philologie et d’Histoire, t. 34, 1956, 3, pp. 968-970.

Demoulin (R.), « Herman Vander Linden (1868-1956) », in Demoulin (R.), ed., Liber memorialis. L’Université de Liège de 1936 à 1966, t. 2, Notices biographiques, Liège, rectorat, 1967, p. 62-67 ; t. 1, Notices historiques et biographiques, pp. 277.

Demoulin (R.), « Herman Vander Linden », in Nouvelle Biographie nationale, vol. I, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1990, pp. 361-362.

Dusser (Y.), Mémoires d’une Française de l’extérieur, Liège, Thone, 1937, pp. 165-167.

Halkin (L.) & Harsin (P.), Liber memorialis. L’Université de Liège de 1867 à 1935. Notices biographiques, t. 1, Liège, Rectorat, 1936, p. 117.

Henri Pirenne. Hommages et souvenirs, t. I, Bruxelles, Nouvelle société d’éditions, 1938, p. 43.

Hoebanx (J.-J.), « L’histoire de Belgique dans quelques manuels scolaires », in Hasquin (H.), ed., Histoire et historiens depuis 1830 en Belgique, Bruxelles, ULB, 1981, p. 69.

Libert, J.L., Souvenirs, tribulations et réflexions d’un Belge liégeois, Liège, Perron, 1991, pp. 28-29.

Lyon (B.), Henri Pirenne. A Biographical and Intellectual Study, Gand, E. Story-Scientia, 1974, p. 75, 335.

Moniteur belge, 4 juin 1903.

Terlinden (Vicomte C.), « Éloge funèbre d’Herman Vander Linden », in Bulletin de la Commission royale d’histoire, t. 121, 1956, pp. CXV-CXVII.

Tourneur (V.), « Hommage à Herman Vander Linden », in Bulletin de l’Académie royale de Belgique. Classe des Lettres, 5ème série, t. 42, 1956, p. 209.

Vercauteren (F.), « Notice sur Herman Vander Linden », in Annuaire de l’Académie royale de Belgique, vol. 128, 1962, pp. 35-53.

 

 

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Tomaison: 

Biographical Dictionary of Overseas Belgians