ALLARD (Fernand) (dit ALLARD l'OLIVIER)

ALLARD, Fernand dit ALLARD l'OLIVIER (Tournai, 12 juillet 1883 – Yanongé, République démocratique du Congo, 9 juin 1933) peintre et dessinateur.

Autoportrait de 1931 (collection particulière, La Panne)

Il est le fils aîné de Charles Allard, lithographe et professeur d'aquarelle à Tournai, et de Mathilde Lagage. C'est la tante de celle-ci, Pauline Braquaval, née Pauline l'Olivier, écrivaine, qui est à l'origine du pseudonyme du peintre. Allard a pour premiers maîtres ses oncles Vasseur, lithographes et dessinateurs, et son père. Il dit avoir eu une enfance assez dure, et est envoyé comme apprenti lithographe à 14 ans chez Van Campenhout à Bruxelles, où il suit des cours du soir à l'Académie royale des Beaux-Arts.

En 1901, il débarque à Paris. Là, il s'inscrit à l'académie Julian et fréquente successivement les ateliers de William Bouguereau, Gabriel Ferrier, Frédéric Grasset puis finalement celui de Jules Adler. C'est ce dernier qui l'influence le plus. Il fréquente les musées et les Salons et rencontre Juliette Rossignol (1887-1953) qui devient sa compagne et qu'il épousera en 1912. Elle lui donnera deux enfants, André, futur homme de lettres (1913-1985) et Paulette, (1917-1985). Une de ses toiles Les Dentellières flamandes est admise pour la première fois au Salon des Artistes français en 1909. Il s'intéresse aussi à l'écriture, et crée avec des amis un journal satirique Les Guignolades. Il participe à la création d'un journal littéraire La Forge, qui comprend Maeterlinck et Gide dans le comité de rédaction. Dès 1911, il écrit des critiques artistiques dans La Revue de Belgique. On y trouve déjà les idées qui seront les siennes toute sa vie : il n'aime pas l'art abstrait, déteste le cubisme et le futurisme.

C'est en 1912 que lui viennent ses premiers succès avec Les Baigneuses surprises, inspirée par ses voyages d'été à Penmarc'h en Bretagne. Cette peinture lui vaut des articles élogieux et une mention au Salon des Artistes français. Elle marque aussi un tournant dans la vie du jeune couple qui déménage à Montmartre, en laissant l'atelier de Montparnasse à la sœur de Juliette, Marthe Rossignol, et à son mari, le sculpteur Lucien Brasseur (1878-1960).

En 1913, Allard l'Olivier (qu'il écrit parfois L'Olivier ou L'olivier) profite de l'amélioration de ses revenus pour s'offrir son premier voyage : il visite Avignon, Marseille, s'embarque pour Alger et rentre en train via l'Espagne. En lisant son journal, rempli de détails pittoresques, on peut déjà entr'apercevoir l'esprit ouvert aux autres et la curiosité de l'artiste qui visitera le Congo.

Allard continue durant cette période les portraits sur commande (qu'il n'aime pas et dont il écrit qu'ils « sont des péchés »)[1], décore la salle à manger d'Olivier de La Mazelière, membre du conseil d'administration du Figaro, et participe aux Salons parisiens. La déclaration de la guerre le trouve en Bretagne où il tente sans succès de s'engager. Rentrée à Paris, la famille Allard survit durant deux ans avec difficulté. En 1916 Allard rejoint le peintre Alfred Bastien (1873-1955) à La Panne dans la « Section artistique de l'Armée belge en campagne ». Durant plus de deux ans, il va sillonner les tranchées et les villages de l'Yser détruits. Certaines œuvres de cette époque, Le Chemin de la victoire à Westrozebeke, Le Blessé au lieu-dit La Joconde, sont conservées aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique et constituent des documents d'archive.

Les courriers écrits par Allard l'Olivier à son épouse permettent de suivre la vie à La Panne et dans les tranchées. Le peintre y rencontre le Roi Albert et la Reine Élisabeth, avec qui il noue de bonnes relations : en 1925 celle-ci acceptera de poser pour une grande toile où elle assiste le docteur Depage en tant qu'infirmière à l'ambulance de l'Océan (actuellement à l’Académie royale de Médecine).

C’est là qu’il fera également connaissance de son futur ami Ernest Genval (1884-1945), poète et chansonnier des armées qu'il retrouvera plus tard au Congo en tant que cinéaste, ainsi que des artistes belges, Pierre Paulus (1881-1959) ou Maurice Wagemans (1877-1927) qu'il fréquentera tout au long de sa vie.

La guerre finie, Allard s'installe avec sa famille à Stockel. En 1920, la médaille d'argent des artistes français lui est attribuée pour sa Promenade en barque, dans la même veine que Les Baigneuses surprises : femmes peu vêtues dans un environnement bucolique. C'est également cette année-là qu'il reçoit le Prix du Hainaut, à sa création. En 1924, il gagne la médaille d'or pour sa Suzanne au bain et un très beau Portrait de sa mère, qu'on peut encore voir à Tournai. Il décore entre-temps, dans un style proche de l'Art monumental, la Maison du Peuple de Quaregnon. Puis, en 1925, la maison communale de Jemappes. Il publie chez l'éditeur Maurice Lamertin un Alphabet de la guerre, dont certains dessins rappellent les débuts de la bande dessinée belge. Il multiplie les expositions, à Tournai, à Bruxelles et surtout il voyage : à Nice et en Corse, aux Pays-Bas aussi.

En mai 1923 il part à nouveau vers le sud, Riviera puis Tunisie, mais, cette fois-ci, il a un contrat avec La Meuse, et au retour il publie dans ce journal : Les Carnets de Voyage d'un Artiste, texte léger accompagné de dessins et d'aquarelles. Il expose salle Mommen à Bruxelles en décembre 1923. Plusieurs œuvres représentent des personnages pittoresques, des souks animés, des ports. Les critiques ne sont pas unanimes, Allard sort de son registre habituel et évolue.

En 1926 il est invité à Łódź, en Pologne, chez un industriel, Saladin. Il profite de son séjour pour assister au pèlerinage de Częstochowa, qui lui inspire toute une série d’œuvres dont le très beau tableau Procession à Czestochowa visible à la maison communale de Tournai. À son retour et après travail à l'atelier, une exposition a lieu au Palais de marbre à Paris.

Tout au long de la période heureuse allant de 1925 à 1928, outre les peintures de voyage, on trouve également une série de nus couchés, des portraits, ainsi que de lumineux bouquets de fleurs. Sa famille habite alors « Les Troënes » à Stockel près de Bruxelles. Plusieurs toiles de cette époque représentent famille et amis dans le jardin, entretenu par le peintre, lors des repas conviviaux que les Allard aiment à organiser.

Lorsqu'il ne peint et ne jardine pas, ce grand gaillard infatigable et bon vivant participe avec les IMB (Imbéciles), ses amis du Cercle artistique de Bruxelles, à des spectacles de théâtre organisés par le peintre Gustave Max Stevens (1871-1946), où il joue et fabrique les décors. La grande toile Les Amis du peintre qui se trouve à la maison communale de Tournai les immortalise.

Début 1928, Allard l'Olivier prépare son premier voyage au Congo. Pour le financer il prend contact avec le ministère des Colonies, qui lui alloue une somme de 10 000 francs, le peintre s'engageant à ramener des documents pour l'exposition internationale coloniale, maritime et d'art flamand d'Anvers de 1930. Allard doit retrouver au Kivu son ami Ernest Genval, en plein tournage de films de propagande.

Allard l'Olivier quitte Bruxelles pour l'Italie en avril 1928, où il embarque pour Alexandrie. Il reste plusieurs jours au Caire, puis gagne ensuite Port-Saïd qui lui inspire la très belle toile Partir et où il prend place à bord d'un cargo. Il gagne Dar Es Salam, puis se déplace en train et en voiture. Fin mai le trouve à l'extrême nord du lac Kivu, dans la mission de Sake (près de Goma) du père Gillès de Pélichy où il restera deux semaines à mener une « vie monastique et laborieuse »[2]. Il y rencontre le roi (mwami) du Ruanda Yuhi V Musinga.

Il part vers le sud, et s'arrête ensuite à Uvira (proche de l'actuelle Bujumbura), où il est accueilli et hébergé durant quelques semaines par le gouverneur du Ruanda, Alfred Marzorati. Il peint des pochades, petites huiles sur des bois qu'il a amenés avec lui d'Europe. Sa traversée du lac Tanganyika lui inspire Sur le pont du Baron Dhanis (Musée des Beaux-arts de Tournai).

En juillet 1928 il retrouve Genval. Le roi Albert et la reine Élisabeth effectuant à l'époque un grand voyage au Congo, les deux amis vont suivre le cortège royal à Kabalo. C'est là qu'il trouvera l'inspiration pour une de ses toiles les plus célèbres, Guerrier à Katompe, appartenant à la collection du Musée royal de l'Afrique centrale.

C'est à bord d'un wagon spécial, dans lequel il loge et où un petit atelier a été aménagé, affrété pour lui par la Société des Chemins de Fer du Congo qu'il quitte Élisabethville où il est arrivé en août et où il a fait la connaissance du magistrat et homme de lettres Léon Guébels (également connu sous le pseudonyme d'Olivier de Bouveignes). Il s'arrête à Bukama et à Kabinda (où il s'enthousiasme pour les Danseuses rouges) ; à Kanda-Kanda il peint Le Fou du chef, toile dont la manufacture Georges Chaudoir fera une tapisserie, aujourd'hui conservée au Musée royal de l'Afrique centrale. À Port-Francqui (actuelle Ilebo) il abandonne son wagon pour continuer jusqu'à Léopoldville et Matadi, où il prend un bateau pour Anvers. Il y arrive fin octobre 1928 et finit ainsi un superbe voyage durant lequel il aura traversé l'Afrique centrale d'est en ouest.

De retour en Belgique, il prépare une grande exposition, qui ouvre salle Mommen en avril 1929 et qui est un vrai triomphe. L’État belge lui commande alors les quatorze panneaux qui orneront le hall du pavillon du Congo à l'exposition internationale coloniale, maritime et d'art flamand d'Anvers en 1930. En 1931, ses œuvres seront également exposées à l'exposition coloniale internationale de Vincennes.

Entre 1929 et 1931 il montre ses talents d'illustrateur en travaillant également sur une série de livres, dont Le Miroir du Congo belge, édité pour le centenaire de l'Indépendance belge, et Le Voyage au Congo de Leurs Majestés le Roi et la Reine des Belges. L'Anneau de N'Goya d'Olivier de Bouveignes (pseudonyme de Léon Guébels) ne paraîtra qu'après la mort du peintre.

Dès 1930 les ventes se faisant plus rares suite à la crise financière, Allard décide un second voyage au Congo. Il quitte la Belgique en novembre 1932. Arrivé à Matadi, il se dirige dans un premier temps vers Banana, visite le Mayombe, puis arrive à Léopoldville début janvier 1933. Il embarque alors sur le Galieni, partant vers le Kasaï. À Port-Francqui il retrouve son wagon de chemin de fer, avec lequel il traverse tout le Congo central. Il rencontre fin janvier Lukengo, roi des Kuba. Il écrit à Léon Guébels : « Reçu en grand apparat par cette châsse impotente ; j'ai connu des heures extraordinaires... j'aurais voulu dix paires de bras, les miens étaient tremblants de mon excitation picturale... Des croquis, six pochades ! Le soir j'étais comme une lavette mais heureux »[3]. Début mars il expose à Élisabethville, après quoi il estime que son voyage est financièrement rentabilisé. Durant trois mois il parcourt la région des Grands Lacs, séjourne un moment à Nyanza au Ruanda, où il rencontre et peint le mwami Mutara III Rudahigwa, fils et successeur de Musinga. Fin mai il est à Costermansville (Bukavu) pour une exposition, puis retourne rapidement à Stanleyville où il embarque sur le Flandres. Il est pressé de rentrer, pour fêter ses cinquante ans en famille.

Malheureusement un accident a lieu dans la nuit du 9 au 10 juin, alors que le Flandres est à quai pour la nuit. Il tombe du bateau, s’assomme et se noie dans le fleuve. On retrouve son corps trois jours après, et il est inhumé à la Mission de Yanongé.

De ce second voyage il ne reste malheureusement que des pochades, Allard n'ayant pas eu la possibilité de retravailler ses esquisses. Il se sent souvent proche des Congolais ; malgré la barrière de la langue, sa vision optimiste et jubilatoire du pays transparaît dans ses œuvres[4].

Allard l'Olivier était un peintre figuratif inclassable, post-impressionniste à ses débuts, art monumental dans ses décorations socialistes, art nouveau dans ses dernières œuvres. On lui reconnaît unanimement des qualités d'excellent coloriste, arrivant à capter la lumière sans la figer. Il était un grand travailleur, qui travaillait très vite, parfois trop, selon ses propres dires. Il laisse derrière lui une œuvre abondante. La grande exposition de 1929, ainsi que la rétrospective de 1958 à Tournai comptaient chacune une centaine d’œuvres. Ses archives regorgent de données intéressantes pour la recherche.

 

Geneviève Gouinaud-Allard
13 janvier 2020

 

 

Collections

 

En Belgique : 

Anvers, Institut de Médecine tropicale Prince-Léopold

Bruxelles, Archives et Musée de la Littérature

Bruxelles, Musée royal de l'Armée et de l'Histoire militaire

Bruxelles, Bureau du directeur du Sénat

Quaregnon, Maison culturelle et Hall de l’Hôtel de Ville

Jemappes, Maison communale

Tervuren, Musée royal de l'Afrique centrale

Tournai, Maison communale

Tournai, Musées royaux des Beaux-Arts

Charleroi, Maison communale

Ypres, In Flanders Field Museum

 

En France :

Pau, Musée des Beaux-Arts

 

Diverses autres collections internationales et privées

 

Bibliographie

 

Sources inédites

Archives inédites de Fernand Allard L'Olivier, famille Allard, accessibles via le site http://fernand-allard-lolivier.be

Archives du Musée royal de l'Afrique centrale, répertoriées sur le site http://fernand-allard-lolivier.be

 

Sources publiées

 

a) Publications auxquelles participa Fernand Allard l'Olivier

Le voyage au Congo de Leurs Majestés le Roi et la Reine des Belges, 5 juin-31 août 1928. Aquarelles et dessins d'Allard l'Olivier, Bruxelles, Les Éditions d'Art, 1928.

de Bouveignes (O.), L'anneau de N'Goya. Illustré par Allard l'Olivier, Bruxelles, Vromant, 1938, 53 p.

Joset (G.), Les Heures Claires en Brousse, Courtrai, Édition Jos.Vermaut, 1931.

Lens (L.-J.), Elisabethville mon village, Bruxelles, Éditions de l'Expansion belge, 1931.

Ransy (R.), Tante Julia découvre le Congo, Bruxelles, Éditions de l'Expansion belge, 1932.

Genval (E.), La Chanson des Jasses, Bruxelles, la Maison des Arts, 1919.

Alphabet de la Guerre pour les Grands et les Petits, Bruxelles, Maurice Lamertin, 1920.

 

b) Autres sources publiées

In Memoriam, in La Revue sincère, Bruxelles, 1933 (numéro consacré à la mémoire d'Allard l’Olivier).

de Bouveignes (O.), Stèle à la grandeur meurtrie du peintre Allard l'Olivier, Léopoldville, Le Courrier d’Afrique, 1933.

Renard (M.), Allard l'Olivier, S.l., Éditions de « Savoir et Beauté », 1922.

 

Travaux scientifiques

 

Busine (L.), Histoire des tableaux de Fernand Allard l'Olivier destinés à la Maison du Peuple de Quaregnon, in Mémoires et publications de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut, 90, 1980, pp. 55-75.

Cornelis (S.), Regards d’Artistes. La Palette et la Plume au Congo, Louvain-La-Neuve, thèse de doctorat inédite de l'Université catholique de Louvain, Département d’Archéologie et d’Histoire de l’Art (sous la direction du professeur Tony Hackens), 1994-1995, vol. II, pp. 373-408.

De Rycke (J.-P.), Africanisme et modernisme : la peinture et la photographie d’inspiration coloniale en Afrique centrale 1920-1940, Bruxelles, P.I.E.-Peter Lang, 2010 (Documents pour l’Histoire des Francophonies : Afriques, 21).

Foucart (J.), Approche de l’œuvre et la vie du peintre Fernand Allard l'Olivier, foclam/Ifpam, 2009.

Guisset (J.), ed., Le Congo et l'Art belge 1880-1960, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 2003. 

Jadot (J.-M.), Notice biographique sur Fernand Allard l'Olivier, in Biographie coloniale belge, Bruxelles, t. III, 1952, col. 10-13.

Thornton (L.), Les Africanistes, peintres voyageurs, Courbevoie, ACR Editions, 1990.

 

Bases de données

 

Mukanda. Ressources documentaires sur l'Afrique centrale.

Institut royal du Patrimoine artistique, BALaT et la photothèque.

 

Autoportrait de 1931 (collection particulière, La Panne)

Digital Source: Wikimedia

 

 

[1] Texte dans son Journal du 21 novembre 1913.

[2] Lettre à sa femme du 5 juin 1928.

[3] Lettre à Léon Guébels du 15 février 1933.

[4] Lettre à sa femme du 23 décembre 1932.

Tomaison

Biographical Dictionary of Overseas Belgians