MUNE (Pierre)

MUNE, Pierre (Ekonda-moke, province de la Tshuapa, République Démocratique du Congo, dates de naissance et de décès inconnues), enseignant, auteur.

 

De 1947 à 1951 Mune fréquente l'école primaire de la Mission catholique de Bokote où il rencontre le Père Ferdinand Van Linden (1912-2007 ; au Congo 1938-1984) qui jouera un rôle important dans sa carrière d'enseignant et d'auteur[1]. De 1952 à 1956 il est affecté comme enseignant à la plantation des Huileries du Congo belge à Bomputu, près de la Mission de Bokote, et à partir de 1956 à la Mission catholique de Boende. Ses publications sont toutes situer pendant les périodes où il retrouve son mentor Van Linden.

Pierre Mune est le premier (et jusqu'ici l'unique ?) Congolais à pouvoir s'appeler « Lauréat de l'Académie royale des Sciences d'Outre-Mer » avec une dissertation sur l'histoire et la situation foncière de son village Ekonda-moke, situé dans la circonscription du Groupement Luankamba : « Se ralliant aux conclusions des rapporteurs, le R.P. E. Boelaert et M.G. Malengreau, la Classe décerne le titre de lauréat, à M Pierre Mune pour son travail en réponse à la lè question, intitulée : « Le Groupement de Petit-Ekonda' »[2]. Ce n'était pas son unique production littéraire. Entre 1952 et 1962, il publie dans les périodiques locaux quinze textes en lomongo : poèmes, contes, histoire, moralités. Il avait du talent et ne manquait pas d'ambition : dans Lokole Lokiso, le mensuel du Vicariat pour les Congolais[3], il écrit qu'il « avait l'intention depuis 1947 de publier un hebdomadaire en lomóngo »[4], projet qu'il n'a pas pu concrétiser.

Mais c'est l'histoire de sa famille et de sa région d'origine qui commence à le hanter. Depuis 1941, le Père Gustaaf Hulstaert avait commencé à inciter les lecteurs du périodique destiné aux Congolais Mongo, Le Coq Chante, d'écrire eux-mêmes leur histoire et il y livrait la méthodologie pour que cette connaissance puisse fonctionner dans le nouveau contexte de la littérature écrite et réveiller la fierté légitime de leur culture et de leur langue malgré le contexte colonial. Cette approche s'aligne parfaitement sur ce que Marcel Mauss prône dans son fameux Manuel d'Ethnographie : « L'idéal serait de transformer les indigènes non pas en informateurs, mais en auteurs. »[5], et Mune entre pleinement dans cette optique.  L'occasion d'appliquer les conseils de Hulstaert à l'histoire de ses propres origines se présente quand fin 1953 Edmond Boelaert lance dans cette autre revue, Etsiko, une enquête sur les évènements violents qui ont caractérisé la première occupation de la région de l'Équateur par l'État Indépendant du Congo et la récolte du caoutchouc. Le 5 février 1954, Mune envoie son texte « Bosaka wa Bangulánguma », [Histoire des Bandalugwa], publié en lomongo en 1955 dans le périodique Lokole Lokiso.[6]

Il y prend goût et participe à une deuxième enquête de Boelaert lancée mi-mai 1954 sur l'opinion des Congolais au sujet de la propriété foncière dans le contexte colonial avec un texte « Bomeko wa ngonda ». [Enquête concernant la terre][7]. Tout cela cadre dans l'action scientifique, politique et judiciaire pour la défense des droits fonciers des colonisés congolais, action lancée par Boelaert et Hulstaert à partir de 1946. Il amène les originaux des 48 réponses avec lui, quand il se rend en Belgique le 14 septembre 1954. Il utilise ces textes dans plusieurs de ses publications dont la plus importante était la communication à l'Académie royale des Sciences coloniales, au titre «La propriété foncière dans l'idée des Nkundo »[8]. Et il persiste dans la même direction, quand, en association avec Guy Malengreau, il est chargé dans la session de l'Académie du 19 mars 1956, de formuler la question du concours annuel pour l'année 1958, sur le thème de la « situation foncière d'une région ». Le concours est annoncé aussi à Coquilhatville au Congo, dans le périodique local Lokole Lokiso du 15 septembre 1956. Mune y répond par un essai sur la propriété foncière traditionnelle dans sa région d'origine : Bonanga wa Ekonda ea Bompouou. Le groupement de Petit-Ekonda.

Le texte, écrit en lomongo et traduit en français par Boelaert, a été présenté par Boelaert et Malengreau lors de la session de 15 juillet 1958. Le travail de Mune est couronné et Lokole Lokiso dans son numéro du 1er septembre 1958 annonce triomphalement que « Notre ami Mune a gagné le concours ». Le travail est publié en 1959 dans les Mémoires de l'Académie. Comme l'auteur le dit dans son introduction, ce travail faisait partie d'une trilogie : dont les deux autres volets sont : Histoire de l'arrivée des Blancs, cité ci-dessus et Histoire des ancêtres, publié partiellement dans Lokole Lokiso en 1962.

À côté de leur valeur informative, ces textes sont également importants pour jauger l'interaction entre les missionnaires et les Congolais lettrés. Pierre Mune était un de ces informateurs et auteurs précieux et avertis qui livraient les matériaux fiables et précis pour les publications des missionnaires Boelaert et Hulstaert. Pour la compréhension de la structure des sociétés congolaises et spécialement du concept d'autorité, si important pour la gestion de la politique foncière, ce genre d'informations est crucial. Mais Mune dépasse ce stade d'informateur et il dévoile ses véritables intentions dans une lettre à la rédaction de Lokole Lokiso du 15 janvier 1955 quand il offre sa collaboration au journal, nouvellement lancé par Paul Ngoi et Augustin Elenga : « Les Blancs sont fiers d’eux-mêmes, ils glorifient leur culture. Ils n’ignorent pas leurs personnes célèbres, et encore moins les noms des pays, des montagnes, les cours d’eaux et lacs etc. Pourquoi n’ignorent-ils pas cela ? Parce qu’ils donnent l’importance et leur langue. Ils en sont fiers. […] Ils donnent d’ l'importance aux bonnes choses de leurs ancêtres] » [9]’ C'est l'écho de ce’qu'écrivait Hulstaert en 1941 dans Le Coq Chante : « Tout juste sur la terre désire connaitre les coutumes ancestrales, apprendre l'histoire des ancêtres, comprendre les lois du village [....] Il désire être fier de la gloire des ancêtres »[10].

Et pour Mune, comme pour Hulstaert, ce n'est pas un « parochialism » borné qui domine le discours ; au contraire, tout le plaidoyer s'intègre dans un universalisme humain qui concerne : « Tout juste sur la terre ». Il s'insère ainsi également dans la « philosophie » de l'indigénisme et de la prise de conscience des injustices de la colonisation, et en même temps projette l'action politique pour la défense des droits fonciers des Congolais dans la colonie belge, « Nous nous sommes plaints aujourd’hui, parce que nous nous sommes rappelés qu’on nous a enlevé cette chose fondamentale que nous avions reçue de nos pères : NOS TERRES »[11].

James S. Read (School of African and Oriental Studies, Londres), pas le moindre parmi les africanistes de l'époque, sait apprécier le travail de Mune dans sa recension : « A charming study which contains both the scientific account — deceptively simple in its presentation - and the cry of concern springing from personal involvement »[12].

Par sa publication Mune trouve une place parmi d'autres auteurs Congolais Mongo : Augustin Elenga, Paul Ngoi, Louis Bamala, Jean-Robert Bofuki et autres, comme les quatre participants au concours organisé par l'International Africa Institute de Londres en 1937[13].

Honoré Vinck, ancien directeur du Centre Aequatoria (Bamanya, RDC), 5 juni 2022
vinck.aequatoria@skynet.be

Bibliographie

 

Sources inédites

Archives Aequatoria, Bamanya, (AAeq), République Démocratique du Congo (RDC).

Archives des Missionnaires du S. Coeur, Borgerhout (AMSC-B.), Belgique.

 

Sources publiées

 

Publications de Pierre Mune

Le Groupement de Petit-Ekonda, Bruxelles, Académie royale des Sciences coloniales, 1959, Mémoires de la Classe des Sciences Morales et Politiques, (N.S. in-8°), t. XVII , f. 4, 72 p. Accès au texte par https://www.kaowarsom.be/en/memoir_168 (consulté le 20 mai 2022).

Arrivée des Blancs chez les Luankamba, in Lokole Lokiso, 1, 1955, p. 5 et 1 avril 1955, p. 6.

Lokole Lokiso, [Notre tam-tam], in Lokole Lokiso, 15 janvier 1955, p. 6.

Isango Ff E. Boelaert [Hommage au P. Boelaert], in Lokole Lokiso, 10 mai 1962, p. 2.

Nsango ya bankonko. [Histoire des ancêtres], in Lokole Lokiso, 28 juillet 1962, p. 3.

Une liste de la bibliographie complète sur http://www.aequatoria.be/04frans/032biobiblio/0321MUNE.htm (consultée le 2 juin 2022).

Autres sources publiées

Les périodiques édités á Coquilhatville : Le Coq Chante 1936-1948, Etsiko 1949-1954, Lokole Lokiso 1955-1960 et 1962. Exemplaires originaux conservés dans AMSC-B, fonds 'Congo' et AAeq, Boite 40. Sur microfiches AAeq., P. 41-77 ; P. 79-89 ; P. 89-117.

Travaux scientifiques

Boelaert (E.), La question cruciale des terres indigènes. Pourquoi les indigènes sont-ils mécontents?, in Zaïre, IX, 1955, pp. 969-972.

Vinck (H.), Conflits fonciers au Congo belge. Opinions congolaises, Bruxelles, Académie royale des Sciences d'Outre-Mer, 2011, pp. 195-217 (Fontes Historiae Africanae, vol. 4).

Vinck (H.), Pierre Mime : bio-bibliographie sur http://www.aequatoria.be/04frans/032biobiblio/0321MUNE.htm (consulté le 20 mai 2022).

Clement (P.), Rural Development in the Belgian Congo: The Late-Colonial 'Indigenous Peasantry' Programme and its Implementation in the Equateur District (1950s), in Bulletin des séances. Académie royale des Sciences d'Outre-Mer, 60, 2014, n° 2, pp. 251-286.

 


[1] Voir Vinck (H.), Les Papiers F. Van Linden, in Annales Aequatoria, 17, 1996, p. 439.

[2] Voir Bulletin des Séances de l'Académie royale des Sciences coloniales, S. IV, 1958, p. 906 :

[3] Sur l'importance des périodiques à Coquilhatville, Le Coq Chante, Etsiko et Lokole Lokiso, voir Lonkama (Ch.) et Vinck (H.), Index des périodiques édités à Coquilhatville et conservés dans la Bibliothèque Aequatoria Bamanya. http://www.aequatoria.be/04common/030themes_pdf/0380indices_periodiques_coqmbandaka.pdf (consulté le 2-6-2022) et Vinck (H.), Het belang van de periodieke koloniale pers in Afrikaanse talen, in Bulletin des Séances de l'Académie royale des Sciences d'Outre-Mer, 48, 2002, n° 3, pp. 269-295.

[4] Lokole lokiso, in Lokole Lokiso, 1, 1955, n° 2, p. 6.

[5] Voir Marcel Mauss, Manuel d'ethnographie, Paris, Payot, 1967 [1926], p. 154 (http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/manuel_ethnographie/manuel_ethnographie.doc consulté le 2-6-2022).

[6] Lokole Lokiso 15 mars 1955, p. 5 et 1 avril 1955, p. 6. sous le titre Besaka bya eyelo ea bendele nda Province e 'equateur [Histoire de l'arrivée des Blancs dans la Province de l'Equateur ]. Bagulunguma était le sobriquet des Blancs d'après le nom du vapeur Engulunguma [signifie « énorme »], par lequel les Blancs étaient arrivés.

[7] Manuscrit original des réponses dans AMSC-B, Individuele dossiers ; Papieren Boelaert-De Rop, boite 14, document nr 703. Publiés en original et en traduction française dans Vinck (H.), éd., Conflits fonciers au Congo beige. Opinions congolaises, Bruxelles, Académie royale des Sciences d'Outre-Mer, 2011, pp. 194-217 (Fontes Historiae Africanae, vol. 4).

[8] Boelaert (E.), Bulletin des Séances de l'Académie royale des Sciences coloniales (ARSC), 1, 1955, n° 2, pp. 162­-168.

[9] Mune (P.), Lokole Lokiso, in Lokole Lokiso, 1, 1955, n° 2, p. 64.

[10] [Hulstaert (G.)], Mongo, in Le Coq Chante, 1941, n° juin, pp. 3-4.

[11] Le groupement de Petit-Ekonda, p. 64.

[12] Read (J.), Le Groupement de Petit-Ekonda. By Pierre Mune [Review], in The Journal of African History, 1, 1960, n° 2, pp. 341-342. DOI: https://doi.org/10.1017/S0021853700002036

[13] Voir Iloo (D.), La littérature dans le Vicariat de Coq, in Etsiko, n° 8-9, 1951, pp. 12-13 et Vinck, (H.), De literaire wedstrijd (1928-1940) van het tijdschrift Africa. De deelname van de Mongo (RDC), in Bulletin des Séances. Academie royale des Sciences d'Outre-Mer, 56, 2010, n° 2, pp. 121-143.

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Biographical Dictionary of Overseas Belgians