JACQUOT (Charles-Désiré)

JACQUOT, Charles-Désiré (Bruxelles, 8 mai 1819 – Ixelles, 8 janvier 1899), voyageur naturaliste, militaire, industriel

Charles-Désiré Jacquot est d’origine française. Ses parents, François Jacquot et Marguerite Hugue, nés tous deux à Richecourt-le-Château en Moselle, se sont installés à Bruxelles en 1817 pour fonder une fabrique de chapeaux. Les débuts sont modestes mais l’entreprise est bientôt prospère.

Jacquot père confie l’éducation de son fils unique au cartographe Philippe Vandermaelen (1795-1869) qui organisait une école gratuite dans son Etablissement géographique de Bruxelles. Charles est bon élève. A 13 ans, il fréquente la classe supérieure de calligraphie, de dessin, de mathématiques et de physique de l’école Vandermaelen. La vue du grand globe terrestre dans la bibliothèque de l'Etablissement devait le faire rêver. Et lorsqu’il se promenait dans la chapellerie paternelle, il voyait les ouvriers fabriquer les couvre-chefs de la marine belge…

Jacquot n’a que 16 ans lorsqu’un désistement lui offre, de façon impromptue, l’occasion de sa vie. A l'Etablissement Vandermaelen, on préparait le départ d’Auguste Ghiesbreght (1812-1893), sur le point de s’embarquer pour le haut Brésil en compagnie de Jean Linden (1817-1898), de Nicolas Funck (1816-1896) et de François Gheude (1815- ?), dans une expédition décidée par le gouvernement belge. Chacun des quatre jeunes naturalistes avait une mission particulière à accomplir, correspondant à ses acquis : Linden étudierait les productions du règne végétal, Ghiesbreght les animaux vertébrés, Gheude les animaux invertébrés et la minéralogie tandis que Funck serait le dessinateur de l'expédition. Le jeune Jacquot considérait sans doute les préparatifs de ce voyage avec envie, lorsqu’il apprit que Gheude avait renoncé à partir.[1] C’est vraisemblablement Philippe Vandermaelen qui lui proposa de le remplacer. Le fils du chapelier retira son passeport pour le Brésil le 9 septembre 1835. L’employé de la ville de Bruxelles y a inscrit sa profession – naturaliste –, son adresse – place des Martyrs, section 5, n° 11 –, sa taille –±168 cm – et ses caractéristiques physiques qui n’ont rien de distinctif puisqu’il avait les cheveux châtains et les yeux bruns.

Le 27 septembre 1835, les quatre jeunes explorateurs s’embarquent à Anvers pour Rio de Janeiro. Après une traversée de quatre-vingt-cinq jours, ils débarquent le 20 décembre et partent sans attendre pour la colonie de la Nouvelle-Fribourg, et de là pour les provinces de Minas Gerais, Goiás et Mato Grosso. D’emblée Jacquot est considéré comme le « gamin » de la bande, même si ses compagnons ne sont pas beaucoup plus âgés que lui : l’aîné, Ghiesbreght, a 23 ans, Funck en a 19 et Linden 18. Il compte si peu qu’après leur départ il est complétement oublié dans les comptes rendus que la presse et l’Académie publient durant l’expédition. Et, quand on se souvient qu’il y a quatre naturalistes et non pas trois, c’est encore le nom de Gheude qui est prononcé.[2] Au retour, le 24 février 1837, la plupart des journaux belges, bruxellois et anversois en particulier, évoque les « trois jeunes naturalistes », Ghiesbreght, Linden et Funck. Cependant un journal au moins, L'Indépendant du 3 mars 1837, parle, sans les citer, de quatre naturalistes. Et l’Académie continuera en mai 1837 d’évoquer les « jeunes voyageurs Lynden, Ghiesbrecht, Funck et Jacquet [sic] ».[3] Charles-Désiré Jacquot avait effectué l’ensemble de la mission au Brésil dans l’ombre de ses aînés.

De retour sur le vieux continent, Jacquot continue de voyager, sur une plus petite échelle cependant car ses déplacements se limitent aux pays voisins. Nous le voyons en octobre 1838 retirer un passeport pour Paris et Londres. Il se déclare commis-voyageur. Est-il employé par Philippe Vandermaelen ? Ce n’est pas impossible mais il se peut tout autant qu'il travaille pour le compte de son père, qui s’occupe aussi d’import-export de machines-outils.

Charles Jacquot, toutefois, continuant de rêver d’océans et de pays lointains, se tourne vers la marine. Il se fait admettre comme élève sur un voilier-école français, l’Oriental, en partance pour un tour du monde en deux ans et demi. Le gouvernement belge avait accepté de participer au projet en envoyant quatre officiers de l’armée, deux aspirants de marine, auxquels s’ajoutaient quelques élèves de l’Ecole de navigation d’Anvers, ainsi qu’un professeur de mathématiques. A l’origine, Jacquot n’est qu’un élève indépendant dont l’embarquement a peut-être été négocié par Philippe Vandermaelen.

Le navire appareille de Nantes le 24 septembre 1839. L'« école flottante » se dirige vers Lisbonne, puis Gorée au Sénégal, où elle entame sa traversée de l’Atlantique jusqu’au Brésil, avant de contourner l’Amérique du Sud. Le 16 décembre 1839, jour où l’Oriental quitte Bahia, Jacquot est nommé aspirant de 2e classe de la marine belge. Il est ainsi officiellement admis comme élève de la section de marine de l’Ecole militaire.

Six mois plus tard, sur les côtes chiliennes, le 23 juin 1840, l’Oriental quitte Valparaiso. Le lendemain, en route vers Lima, c’est le naufrage : le bateau est entraîné sur des récifs côtiers et s’échoue. Les passagers et l’équipage sont saufs, mais seule une petite partie de la cargaison peut être récupérée.[4] Après ce tour du monde avorté, Jacquot rentre en Belgique à la mi-janvier 1841. Le 1er février, il réintègre la flottille belge. Parente pauvre de l'armée, la marine n’arrivait à maintenir en activité que neuf minuscules bâtiments qui quittaient rarement l’Escaut. Afin d'initier les marins aux grandes manœuvres, l’Etat faisait en sorte, depuis 1834, d’accorder des équipages militaires à des navires marchands. C’est ainsi que, le 17 mai 1842, l’aspirant de 2e classe Jacquot s’embarque à bord du Macassar, trois-mâts de 800 tonneaux, à destination des Grandes Indes. Il rentre à Anvers le 2 juin 1843, après onze mois et demi de voyage. Ce sera son dernier grand voyage.

Le 1er juillet 1843, il est affecté au brigantin le Congrès et nommé dans la foulée aspirant de 1ère classe. Mais deux mois plus tard, le 7 septembre 1843, il est mis en non-activité. En effet, non seulement le Congrès ne peut prendre la mer, mais il s’avère aussi absolument non navigable. Bientôt, Jacquot, comme d’ailleurs une douzaine de ses collègues découragés par l’immobilité et l’inactivité, désespérés par l’absence d’avenir au sein de l’arme qu’ils ont choisie, décide de quitter l’armée. Il obtiendra la démission de son grade par arrêté royal du 28 février 1846.

Rendu à la vie civile, Jacquot le marin se tourne vers l’entreprise paternelle et développe une chapellerie, puis une fabrique de coutils et de corsets à Lokeren, petite ville de Flandre orientale à la tradition textile et chapelière vivace, où sa famille était présente depuis quelques années. Il y devient un notable, membre de la Chambre de Commerce du lieu, vice-président de celle de Saint-Nicolas, membre de la commission directrice de l'Académie de dessin de Lokeren, membre du Conseil supérieur de l’Industrie et du Commerce. Jacquot n’avait pas oublié la marine, les échanges commerciaux qu’elle seule permettait, la croissance industrielle qui était la conséquence naturelle et proportionnelle de son développement. Il ne désespérait pas non plus d’une renaissance d’une marine militaire. Il fit paraître au début de l’année 1861 une brochure intitulée Un Mot sur le commerce d'exportation et la Marine royale belge, où il résume ses convictions en la matière.

Dans les années 1880, Charles Jacquot prend sa retraite. Il cède sa fabrique à son neveu et filleul, Charles Isabey, et finit ses jours à Bruxelles, à Ixelles plus exactement.[5] Son atelier survivra sous le nom d’Isabey jusque vers la fin des années 1970.

Marguerite Silvestre
Bibliothèque royale de Belgique, Cartes & Plans
24 avril 2014
marguerite.silvestre@kbr.be

 

Sources inédites et archives

  • Archives du Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire, Fiche officiers, n° 57.
  • Archives générales du Royaume, Bruxelles, Marine, n° 438 ; n° 4190.
  • Archives de la ville de Bruxelles, Etat civil ; Passeports à l’étranger, n° 55, 1835-1836 ; n° 57, 1838-1840 ; Population.
  • Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles, Cartes & Plans, Fonds VDM 2622.
  • Stadsarchief Lokeren, Burgerlijke Stand.

Sources publiées

  • Le Belge, 3 juillet et 6 octobre 1825 ; L'Indépendant, 4 octobre et 18 novembre 1840 ; Journal de Bruxelles, 2 juillet 1825 ; Moniteur belge, 22 septembre 1839, 21 et 25 juin et 24 décembre 1842, 4 juin 1843 ; L'Observateur, 23 juin 1842 ; Le Précurseur, 2, 4 & 5, 7 juin 1843.

 

Travaux scientifiques

  • Leconte (L.), Coup d'œil sur la marine de guerre belge 1830-1912, Bruxelles, Vanderlinden, 1912.
  • Leconte (L.), La marine de guerre belge (1830-1840), Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1945.
  • Leconte (L.), Les ancêtres de notre force navale, in Fresques militaires belges, 2, avril 1948.
  • Liebaut (H.), Petrus Jacobus Franciscus Vrancken (1757-1833), een Lokerse hoedenfabrikant en kunstverzamelaar, en de Lokerse hoedenmakerij van het einde van de 18de eeuw tot ca. 1870, in Annalen van de Koninklijke oudheidkundige Kring van het Land van Waas, 113, 2010, pp. 113-252.
  • Silvestre (M.), Autour de Philippe Vandermaelen. Répertoire biographique des collaborateurs de l’Etablissement géographique de Bruxelles et de l’Ecole Normale, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 2014.
  • Silvestre (M.), L’Etablissement Géographique de Philippe Vandermaelen. Histoire de la première entreprise cartographique et scientifique de la Belgique indépendante, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 2015.

 


[1] François Gheude partira plus tard pour Madagascar avec Alexandre Mouatt (1818 ou 1819- ?).

[2] Les « quatre jeunes gens pleins d'espoir et d'avenir », cités par le baron de Stassart en mai 1836, dans son Rapport à M. le Ministre de l'Intérieur sur les travaux de l'Académie des sciences et des belles-lettres de Bruxelles pendant l'année 1835-1836, incluent « François Goede [sic] » (Bulletin de l'Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Bruxelles, 3, 1836, n° 5, p. 205).

[3] Rapport du directeur de l'Académie royale de Bruxelles à M. le ministre de l'Intérieur et des Affaires étrangères, in Bulletin de l'Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Bruxelles, 4, 1837, n° 5, pp. 267-268.

[4] Le baron Jean-Baptiste Popelaire de Terloo (1810-1870), qui était du voyage en tant que naturaliste indépendant, eut de la chance : il put sauver et expédier à Bruxelles des pièces importantes comme des lamas et des condors du Chili. Ces pièces « en provenance du tour du monde de l'Oriental » parvinrent au Musée d'histoire naturelle (L'Observateur, 23 juin 1842 ; Moniteur belge, 25 juin 1842). Le reste, objets d’histoire naturelle, notes, dessins, observations, fut englouti. Jacquot sera cité pour son courage lors de cet épisode mouvementé.

[5] Né à Bruxelles le 20 octobre 1845, Charles Marie Ferdinand Isabey est le fils d’Ernest Isabey, originaire de Besançon, et de Françoise Catherine Jacquot, sœur de Charles-Désiré. Celui-ci eut un fils, Charles-André, né en 1876 (et mort à Ixelles en 1894). Charles-Désiré Jacquot reconnut son fils dix ans après sa naissance, par son mariage le 10 juin 1886 avec Emelie Goetz, une Allemande de trente-trois ans sa cadette (née à Cronstadt (?) en 1852).

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Tomaison: 

Biographical Dictionary of Overseas Belgians