WAHIS (Théophile)

Wahis, Théophile (Menen, 27 avril 1844 – Bruxelles, 26 janvier 1921), gouverneur général de l’Etat indépendant du Congo et du Congo belge

Issu d’une famille d’officiers, Théophile Wahis s’oriente rapidement vers la carrière militaire. Âgé de seize ans lorsqu’il s’engage au 11e régiment de ligne, il entre deux ans plus tard à l’Ecole militaire. À peine sorti comme sous-lieutenant en 1864, il sollicite son affectation à la Légion belge, qui doit servir de garde à la fille de Léopold ier, Charlotte, intronisée impératrice du Mexique. Attaché au bataillon des voltigeurs, il est désigné rapidement comme officier d’ordonnance du chef de corps, Alfred van der Smissen. Cette situation n’empêche pas le jeune Wahis de prendre part à des engagements armés et de s’illustrer. Licenciés par l’empereur Maximilien, les volontaires belges quittent le Mexique au début de 1867 et à l’aube de sa pension, Wahis confiera que sa carrière a été favorisée par sa participation à cette campagne.

Bien qu’il soit intégré à sa demande au régiment des grenadiers, son parcours professionnel n’est pas fulgurant. Il est pourtant indéniable que son expérience mexicaine joue en sa faveur et ce d’autant que les rapports avec van der Smissen se poursuivent. Ce dernier commande les grenadiers en 1870 et lorsqu’il est promu général, il choisit Wahis comme aide de camp. En outre, van der Smissen est attaché à la personne du roi également comme aide de camp entre 1883 et 1890. Il est dès lors vraisemblable que le général ait, bénéficiant de l’estime de Léopold ii, recommandé son frère d’arme pour le gouvernorat. En effet, l’une des préoccupations de l’Etat indépendant est d’assurer la pérennité du poste du représentant du souverain, pour lequel six titulaires se sont succédé en cinq ans. Le système qui prévaut est celui d’un duo (titulaire – suppléant) mais les critères de sélection se modifient au gré des priorités politiques. Ainsi, après les consuls et les ingénieurs, certains officiers recueillent les faveurs du Gouvernement central à l’exemple de Camille Coquilhat, qui combine une solide expérience de terrain et l’exercice de hautes responsabilités au Département de l’Intérieur. Envoyé à Boma en juin 1890, son remplaçant désigné est Wahis, qui entre par la grande porte du Congo léopoldien en assurant les fonctions de secrétaire général du Département de l’Intérieur. Le but avoué est de familiariser très rapidement Wahis aussi bien aux arcanes de l’Etat qu’aux objectifs léopoldiens.

Réclamant en 1891 l’envoi urgent de son successeur, Coquilhat décède quelques semaines avant l’arrivée de Wahis, qui s’appuie alors sur Félix Fuchs, directeur de la Justice, pour prendre en main ses nouvelles fonctions. Atteint par les maladies et les défections, l’administration au Congo ne fonctionne pas à son optimum et Wahis y apporte une impulsion toute militaire. Les premiers résultats satisfont pleinement Bruxelles, si bien qu’il est nommé gouverneur général dès juillet 1892. Après Camille Janssen, Wahis est donc le second et dernier titulaire du titre pour la période de l’Etat indépendant. Cependant, âgé de 48 ans, le gouverneur ne multipliera pas à outrance ses séjours. Sur les dix-sept ans au service de Léopold ii, il en passera un peu moins de huit en Afrique. Il n’est dès lors pas étonnant que certains hauts fonctionnaires à l’instar de Paul Le Marinel dénient à Wahis une véritable connaissance du Congo. Pour autant, sa position n’est pas contestée et se renforcera au fil des années, ce qui s’explique brièvement à la fois par son attitude et par l’évolution institutionnelle du Congo léopoldien.

Issu de la pure tradition militaire, Wahis est absolument loyal à la dynastie et comprend sa mission comme la simple exécution de la volonté royale. Quitte à paraître telle une marionnette lorsqu’il remplace Camille Janssen comme secrétaire d’Etat des Finances, entre octobre et décembre 1892. Ce dernier était en effet en complet désaccord avec Léopold ii sur la politique domaniale et les conditions accordées aux sociétés concessionnaires. De manière générale, le gouverneur ne conteste pas ouvertement les options de Léopold II, qu’il s’agisse de la politique domaniale ou des expéditions. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne manifeste pas des désapprobations mais il rentre rapidement dans le rang. En 1892, Wahis renvoie au secrétaire d’Etat van Eetvelde la responsabilité des ordres transmis mais van Eetvelde, signalant qu’il s’agit d’instructions du roi, clôt l’incident. Cinq ans plus tard, le gouverneur s’étonne que Bruxelles n’ait pas officiellement approuvé les mesures qu’il a prises lors de son voyage d’inspection en rapport avec les exactions de l’administration mais il n’insiste pas. Tandis que la législation laisse transparaître une participation du gouverneur au processus politique, Wahis se place délibérément sous l’autorité d’Edmond van Eetvelde, qui en 1894 détient l’autorité sur les trois départements du Gouvernement central. En revanche, la maladie du secrétaire d’Etat en 1898 puis sa démission en 1901 renforcent la position de Wahis, qui est pressenti pour le remplacer. Léopold°ii laisse néanmoins le poste vacant et Wahis n’exercera donc pas un rôle direct au Gouvernement central.

Cet état de fait ne contrevient pas à la confiance du roi pour son gouverneur, qui est successivement anobli, promu lieutenant-général et enfin nommé aide de camp. L’influence de Wahis est considérable nourrissant par là même le ressentiment de Charles Liebrechts, le secrétaire général de l’Intérieur. En outre, dans l’exercice de son mandat, Wahis supplante les secrétaires généraux. En 1906, les responsables des départements soumettent au roi une batterie de décrets inspirés des propositions de la Commission des réformes, qui avait travaillé sur le rapport de la Commission d’enquête de 1904. Le souverain décide de recueillir les considérations du gouverneur, qui ne sont pas un simple avis consultatif. Bien au contraire, il soumet des contre-propositions notamment à propos des mesures sur les terres indigènes. De surcroît, Wahis reçoit la présidence du Conseil du Congo nouvellement installé et faisant office de Conseil d’Etat.

L’accroissement de l’influence de Wahis va de pair avec sa constance à défendre l’Etat et le système léopoldiens. Très rapidement, le gouverneur voit d’un mauvais œil la présence des missionnaires protestants. En 1897, il est directement et publiquement mis en cause par Eduard Sjöblom, un missionnaire suédois de Bolenge, ce qui pousse Wahis à répliquer dans le Times. Dès lors, Wahis nourrira continuellement une suspicion envers les évangélisateurs anglo-saxons qu’il considère comme particulièrement malveillants. En outre, au plus fort de la campagne de la Congo Reform Association, une mobilisation se fait jour parmi diverses associations belges pour prendre la défense de l’Etat indépendant. Dans les coulisses, Léopold ii désire que ces mouvements s’unifient et ordonne à Wahis, président du Cercle africain, de parvenir à ce but. Très rapidement est ainsi fondé en juin 1903 la Fédération pour la défense des intérêts belges à l’étranger. En retrait, le gouverneur n’est qu’un des vice-présidents. Par contre, il préside le comité de rédaction du périodique La Vérité sur le Congo, dont la Fédération est l’éditeur responsable mais qui en fait rédigée dans les bureaux du Gouvernement central.

La fermeté que Wahis témoigne envers les détracteurs du régime ne fait pas du gouverneur un serviteur aveugle du régime léopoldien. Le différend qui l’oppose à Félicien Cattier, professeur de droit à l’Université libre de Bruxelles, en 1906 illustre la position difficile dans laquelle il se trouve. En tant qu’officier, Wahis place l’honneur en haut de son échelle de valeur et ne peut dès lors accepter certains comportements des fonctionnaires et ce d’autant plus s’ils sont militaires. Dès son premier terme, il interdit formellement les incendies volontaires des villages comme moyen de répression et dont la pratique était encore usitée par l’administration dans le Bas-Congo. Wahis se rend rapidement compte des travers dans lesquels glissent les agents sinon jeunes et inexpérimentés du moins briscards et faisant fi de la loi. Le gouverneur est donc rapidement placé devant une contradiction. Avant même les premières campagnes de presse, il doit gérer la situation inextricable dans laquelle se trouve le service du portage. Wahis tente de rationnaliser au mieux la logistique et légifère contre la brutalité des agents. Néanmoins, la surcharge est telle que le district des Cataractes se trouve en état de rébellion en 1893 et puisque le transport est vital pour l’Etat, le remède apporté est le prompt emploi de la Force publique. De même, lors de son inspection de 1896, il n’hésite pas à dénoncer une série de faits et à poursuivre les responsables mais il ne le fait que dans la mesure où ses décisions n’entravent pas les objectifs de Léopold ii. Wahis est néanmoins, selon Fuchs gouverneur par intérim, jaloux de son autorité, si bien qu’il ne supporte pas ce qu’il estime être des actes d’insubordination. Deux officiers subiront les foudres du gouverneur, à savoir : Hubert Lothaire et Alphonse Cabra, ce dernier se voyant sans doute un peu vite à la place du gouverneur. Quant au premier, il est jugé en 1895 pour l’exécution sommaire par pendaison du commerçant irlandais Charles Stokes. Acquitté, il refuse de se rendre chez le consul anglais pour déposer sous serment à propos de la succession de Stokes. Un bras fer s’engage entre les deux hommes et est remporté par Lothaire, qui quitte certes le service de l’Etat mais revient comme directeur de la Société anversoise de commerce au Congo avec la bénédiction du Gouvernement central. Wahis en accuse le coup mais s’en trouve récompensé par une promotion dans l’ordre de Léopold. Le gouverneur n’en restera cependant pas là. En 1899, la mise à feu à sang de la Mongala par la société dirigée par Lothaire incite Wahis, d’une part à soutenir le procureur Waleffe dans les poursuites de son ancien subalterne et d’autre part, à suivre l’avis de Fuchs, en tant que juge d’Appel, à retirer le droit de police aux sociétés.

Wahis contrairement à ce que prétend Cattier n’a jamais permis des actes illégaux bien que dans une certaine mesure il les a tolérés. Globalement, Wahis s’est principalement intéressé à l’organisation et à la bonne tenue de la Force publique et dans sa tournée d’inspection de 1905, il peut à juste titre souligner l’amélioration de l’encadrement de l’administration et la disparition des pratiques les plus graves. Lucide, il reconnait que le contrôle est encore loin d’être parfait mais en dédouanant le Gouvernement bicéphale des abus provoqués par son système d’exploitation, Wahis s’aveugle en rejetant la responsabilité sur les seules sociétés concessionnaires. En somme, gouverneur respecté, Wahis suscite sur son passage le zèle et les comportements adéquats chez les fonctionnaires. Néanmoins, présent de manière épisodique au Congo, il ne peut avoir une maîtrise complète de la situation et son analyse ne se porte finalement que sur des focus.

Premier gouverneur du Congo belge, il remet sa démission en 1912. Il n’abandonne pas pour autant complètement le domaine colonial. En effet, il met le pied dans le monde des affaires commerciales, en particulier dans les plantations caoutchoutières en Asie. Avant la Première Guerre, il est porté à la présidence de la Société des plantations annamites, nouvellement fondée et agissant entre autres en Indochine. Après le conflit mondial, il se trouve également à la tête d’une entreprise fondée en 1914, néerlandaise et active à Sumatra, la Palmboomenkweekerij Simpang Kanan. Enfin, il siège au conseil d’administration de la Compagnie du Katanga. Son fils, Théophile, deviendra également lieutenant-général de l’armée belge.

 

Pierre-Luc Plasman
5 juillet 2012
Université Catholique de Louvain

 

Sources inédites

 

Musée royal de l’Afrique centrale (KMMA-MRAC), Tervuren, Archives Théophile Wahis

 

Sources publiées

 

  1. Publications de Théophile Wahis

 

Wahis (Th.) & de Rossius d’Humain (F.), Lettres du Mexique à sa mère Clotilde Delrue : 1864-1866, Liège, Simonis, 1981.

 

Travaux scientifiques

 

Dellicour (F.), Théophile Wahis, in bcb, t. I, 1948, col. 939-946.

Cornélis (S.), Un différend entre le gouverneur général Th. Wahis et le professeur F. Cattier. Quelques observations au sujet du système des otages dans l’État Indépendant du Congo, in Bulletin des séances de l’Académie royale des Sciences d’Outre-Mer, 33, 1987, n° 3, p. 355-382.

Wiggers (R.), De ‘‘Fédération pour la Défense des Intérêts belges à l’Étranger’’ en de Congo, 1903-1913, Tiel, 1986.

Coopman (F.), Gouverneur-generaal Th. Wahis en de anti-Kongolese campagne. De rol van gouverneur-generaal Th. Wahis ten tijde van de woelingen in Kongo Vrijstaat (1885-1908), Gent, onuitgegeven licentiaatsverhandeling, Universiteit Gent, 2007.

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Biographical Dictionary of Overseas Belgians